Déclaration communautaire de Paris

Nous, populations clés de l’épidémie de VIH, vivant avec le VIH ou exposés au risque de contamination, refusons de n’être que de simples chiffres. Des réponses équitables doivent être apportées à nos besoins essentiels. Il est temps de mettre fin aux répressions que nous subissons.

La définition des populations clés peut varier selon les contextes, en fonction des données épidémiologiques et géographiques, et de l’environnement social, législatif et politique. Les personnes vivant avec le VIH, les gays et les hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes, les travailleuses du sexe, les personnes transgenres, les usagers de drogues injectables et les détenus sont considérées comme les principales populations clés dans le cadre de la réponse globale vis-à-vis du VIH. Néanmoins, nous considérons que les communautés autochtones, les personnes racisées, les femmes et les jeunes filles, les jeunes, les personnes migrantes et les réfugiés en sont d’autres dans bien des contextes et doivent à ce titre être prises en compte et inclus dans ces populations clés.

Au travers de cette déclaration, nous nous ressaisissons des principes de Denver (« Rien pour nous sans nous ») et des principes GIPA (Greater Involvement of People living with aids). Nous tenons à ce qu’ils soient remis à l’honneur, à l’aune de l’évolution de l’épidémie et des progrès scientifiques récents, afin d’apporter des réponses efficaces face au VIH/sida et aux problèmes de santé mentale et physique qui y sont liés. Cela devra se traduire par l’implication des populations clés, vivant avec ou exposées au VIH, dans les processus de décision et de financement, relatifs à la recherche, aux traitements et aux soins, à la définition des politiques publiques et à leur mise en œuvre.

Nous sommes des acteurs incontournables dans la compréhension des moteurs de l’épidémie dans chacune des populations concernées et de ses évolutions, pour atteindre les populations les plus affectées et proposer des réponses adaptées.

Ce que nous demandons aux organisations internationales :

  1. Reconnaître que l’épidémie à VIH ne prendra pas fin tant que les populations les plus exposées resteront criminalisées, discriminées, rejetées, arrêtées, emprisonnées ou encore tuées, et de se mobiliser pour que les droits de ces populations soient reconnus et respectés par l’ensemble des organisations et gouvernements, au niveau international, régional et national.
  2. Adopter unanimement la déclaration de consensus U=U relative à l’impact de l’indétectabilité du virus sur le risque de transmission par voie sexuelle et utiliser ce fait scientifique validé comme levier pour accroître les engagements financiers dans la riposte globale contre le VIH/sida et tendre vers un accès universel aux traitements et aux soins.
  3. Encourager les agences de l’ONU à intensifier et à défendre l’inclusion des populations clés dans la prise de décision, au sein de ses instances et de ses équipes, à renforcer le rôle des organisations communautaires au niveau local et national, et s’opposer fermement à toute initiative de membres de l’ONU visant à faire disparaître toute mention des populations clés dans ses déclarations officielles.
  4. Défendre l’accès universel aux traitements, aux outils de dépistage et à des services de santé de qualité.
  5. Se concentrer sur les “populations cachées”, personnes ou groupes invisibles car échappant aux recueils de données (par exemple, les HSH, les personnes transgenres, les travailleuses du sexe, les personnes indigènes, les migrants ou les réfugiés) et de renforcer aussi bien la collecte d’informations relatives à ces populations que le développement de politiques inclusives visant leur engagement dans les processus de décision et les affaires publiques.
  6. Renforcer les alliances et le plaidoyer entre organisations internationales, spécifiquement entre organisations internationales LGBT et organisations de lutte contre le sida, et, au-delà, favoriser les liens avec les organismes de lutte contre la tuberculose et la malaria.
  7. Prendre en compte et associer les  communautés autochtones en tant qu’acteurs incontournables de la riposte au VIH, respecter leurs droits à l’autodétermination et d’adopter la déclaration en 10 points sur les communautés indigènes et le VIH-sida (IIHAC 2017 ).

Ce que nous demandons aux leaders politiques et aux gouvernements :

  1. Accélérer les actions au niveau local, national et international pour mettre fin aux épidémies de VIH, hépatites virales, paludisme et tuberculose d’ici à 2030. Atteindre des standards les plus élevés possible en termes de santé physique, sexuelle et mentale pour toutes les personnes infectées ou affectées par le VIH.
  2. Assurer que les personnes infectées ou affectées par le VIH jouissent de tous leurs droits humains et qu’elles ont un égal accès à la vie politique, sociale, économique et culturelle, sans préjugé, stigmatisation, discrimination ou répression d’aucune sorte.
  3. Prendre toutes les mesures pour mettre en œuvre des politiques et des plans locaux, par pays, sur la base des dernières avancées scientifiques sur le VIH et les infections associées, y compris la PrEP, et reconnaitre que les personnes infectées qui sont sous traitement ARV et dont la charge virale est indétectable ne sont plus contaminantes.
  4. Mettre en place des mesures adaptées des règles de propriété intellectuelle qui permettent un accès rapide et abordable à des traitements et des examens biologiques de qualité pour le VIH et les infections associées, pour tou.te.s.
  5. Rejeter toute loi discriminante envers les populations clés basée en raison de l’orientation sexuelle, l’identité de genre, la race, le statut légal de résidence, l’usage de drogue, le travail du sexe ou le statut sérologique, afin d’éliminer la stigmatisation et les violences envers les populations clés.
  6. Garantir l’empowerment et l’émancipation des populations clés par leur capacité à fournir des services durables en augmentant les moyens à disposition des initiatives et des réseaux locaux et nationaux de populations clés.
  7. Accélérer les avancées vers un accès universel à des services de santé de qualité, y compris en santé sexuelle et reproductive et de santé mentale, ainsi qu’à des services de prise en charge globale du VIH, des hépatites virales et des infections sexuellement transmissibles.

Ce que nous demandons à la communauté scientifique :

  1. Développer et prioriser la recherche innovante
    –  à la fois médicale et en Sciences sociales
    –  dans les domaines où les données sont insuffisantes, comme le traitement curatif contre le VIH, les vaccins, les inégalités de genre, le vieillissement, la santé mentale, les enfants/mineurs vivant avec le VIH, des populations clés spécifiques, les interactions avec les hormones et les drogues récréatives, les traitements de substitution, la prévention de la transmission de la mère à l’enfant, et l’allaitement, les coïnfections et comorbidités du VIH, en particulier celles liées au vieillissement des populations.
  2. Développer des programmes de recherche axés sur l’atteinte de la meilleure santé possible pour les populations clés de différentes régions et cultures, incluant les migrant.es, les femmes, les HSH, les travailleur.ses du sexe, les détenu.es, les UDI, les personnes transgenres et intersexes.
  3. Assurer une collaboration renforcée entre les chercheurs et permettre une mutualisation de données anonymes et sûres. Intégrer les populations clés dans les comités d’éthique de la recherche, et partager les résultats des recherches avec les communautés impliquées.
  4. Favoriser l’émergence de davantage de données issues des faits et évidences scientifiques validées, afin d’obtenir des preuves plus solides et désagrégées et ainsi renforcer la valeur ajoutée de la prévention et du traitement.

Ce que nous demandons à la communauté médicale :

  1. Adopter le consensus U = U (Undetectable = Untransmittable) sur l’indétectabilité et la non transmission du VIH par les personnes séropositives grâce aux traitements, et d’utiliser ce fait scientifique validé comme un levier en vue d’augmenter les investissements sur la réponse globale au VIH/sida et d’atteindre un accès universel aux soins et aux traitements.
  2. Renforcer les liens entre les organisations de populations clés et les professionnels de la santé en élaborant des politiques, des services, des protocoles de traitements, des recherches et des recommandations d’experts adaptés et prenant en compte les dimensions culturelles et respectant les différents contextes pour les populations clés au niveau local, national et international.
  3. Faire bénéficier les populations clés des approches biomédicales comme le TASP, le Traitement post-exposition ou la PrEP, outils phares de la prévention diversifiée et de proposer, vis-à-vis du VIH, une approche personnalisée fondée sur les droits.
  4. Mettre fin à la psychiatrisation des personnes transgenres, de leur garantir un accès à des services de santé gratuits, compétents, ouverts/accueillant et non discriminants afin de garantir un soutien pendant le processus de transition.
  5. Permettre un accès universel à l’éducation en santé sexuelle, au dépistage et aux traitements pour les populations clés, intégrant des approches pluridisciplinaires, telles, par exemple, que le suivi des toxicités chez les personnes sous ARV ou PrEP, l’accès aux traitements hormonaux pour les personnes transgenres, ou un accès précoce à la PrEP pour les jeunes et adolescent-e-s particulièrement exposé-e-s.
  6. Garantir une approche inclusive et personnalisée des soins auprès des populations clés, incluant différentes options pour la prévention, le traitement et le soin. Avec une prise en compte de la qualité de vie, sur les enjeux du vieillissement et des comorbidités et l’assurance d’une fluidité dans la coordination des services compétents.
  7. Proposer aux populations clés et à leurs partenaires des services et une information adaptée, avec une approche inclusive, positive et non-jugeante de la sexualité dans son ensemble, tout en respectant leur droit à l’auto-détermination et l’autonomie corporelle.

Ce que nous demandons aux industries pharmaceutiques :

  1. Mettre fin à la prolongation des brevets ainsi qu’au dépôt de brevet sur les molécules non innovante, et retirer les brevets de tous les traitements pédiatriques contre le VIH.
  2. Mettre en place un système équitable du droit des brevets, permettant aux pays dans l’incapacité de financer les traitements sous brevet d’avoir un accès rapide aux traitements innovants les plus innovantes.
  3. Être transparent sur la recherche et le développement (R&D), fixer des tarifs équitables afin que les systèmes de santé soient pérennes et que les traitements ARV de bases soient disponibles dans les pays à revenus intermédiaires et faibles et accessibles à toutes les personnes vivant avec le VIH.
  4. Augmenter et étendre les programmes d’accès prioritaires aux traitements, en accordant des licences volontaires à tous les pays à revenus intermédiaires et faibles tout en garantissant la transparence des processus de négociations des tarifs avec les États.
  5. S’engager activement pour un accès universel aux traitements, au dépistage et à la prévention en garantissant l’accès de toutes les personnes les plus exposées à des traitements et diagnostics du VIH et des coïnfections aux prix les plus bas.
  6. Endosser une responsabilité partagée avec les Etats, les systèmes de Santé, les organisations internationales et les populations les plus exposées pour assurer l’accès aux traitements des Personnes vivant avec le VIH (PVVIH).
  7. Instaurer dans tous les pays un dialogue avec les personnes les plus exposées, et augmenter les investissements au bénéfice des programmes locaux et communautaires de lutte contre le VIH.

Ce que nous demandons aux financeurs :

  1. Augmenter les investissements pour obtenir un changement de politique publique et soutenir les ONG de défense des droits humains qui mettent un accent particulier sur la décriminalisation du travail sexuel, des relations sexuelles entre personnes de même sexe, des identités de genre ou de la façon de les exprimer et de l’usage de drogues.
  2. Augmenter les contributions des pays développés au Fonds mondial (en lien avec l’ONUSIDA dans le but de parvenir à la fin de l’épidémie à l’horizon 2030 pour s’assurer que le Fonds sera intégralement financé et qu’il sera en mesure de soutenir financièrement les services nationaux de lutte contre le sida et les organisations de défense des populations clés affectées
  3. Augmenter les financements en matière de traitement du VIH et des programmes de recherche visant la guérison.
  4. Augmenter les financements pour les associations  communautaires, notamment les financements de base, et ceux permettant le développement des actions communautaires et des interventions en faveur des communautés afin de favoriser l’émergence de leaders parmi les populations clés affectées et les personnes vivant avec le VIH, cibler les projets de recherches locaux et de plaidoyer, et la prestation de services de qualité en matière de prévention.
  5. Accroître les investissements dans les programmes de soins et de soutien aux personnes vivant avec le VIH/sida comprenant le traitement des co-infections et des autres problèmes endémiques de santé comme la santé mentale ou le bien- être général des personnes ; les programmes de lutte contre le sida en direction de la jeunesse comprenant des actions en faveur de la santé sexuelle des adolescents et de l’éducation sexuelle.

Ce que nous demandons à nos propres communautés :

  1. Lutter fermement contre toute forme de discrimination au sein de nos communautés (par ex: homophobie, transphobie, sexisme, sérophobie, à l’encontre des travailleurs du sexe et des usagers de drogue) et promouvoir la participation des minorités sexuelles et raciales.
  2. Travailler de concert avec les personnes vivant avec le VIH pour mettre fin au sida et aux épidémies de VIH/Hépatites/ Tuberculose partout dans le monde ; mettre un terme à la stigmatisation et aux discriminations ; enrayer la criminalisation de la transmission du VIH ; militer contre les lois répressives qui entravent l’accès aux services de prise en charge du VIH.
  3. Mettre en place des partenariats et unir nos forces entre toutes les communautés de populations clés pour mener le combat visant à mettre un terme au sida et aux épidémies de VIH/Hépatites/Tuberculose partout dans le monde.
  4. Dans l’objectif de promouvoir des politiques durables et équitables et d’élaborer des programmes VIH au niveau local, national, régional et international, s’impliquer dans les initiatives lancées par les réseaux et favoriser lors des conférences, les témoignages des populations clés.
  5. Soutenir des approches novatrices sur les anciens et nouveaux défis, inciter de nouveaux membres et jeunes activistes à prendre la parole et à porter des messages de plaidoyer, les écouter, les former afin qu’ils trouvent leur place au sein du mouvement mondial.
  6. Connaitre l’épidémie de VIH au niveau local, ses dynamiques et ses déterminants sociaux, et plus spécifiquement, la manière dont les populations clés sont impactées, dans l’objectif de pouvoir diffuser des informations fiables et délivrer des formations au sein de nos communautés, notamment sur les derniers progrès scientifiques (TASP, PrEP, etc.), ou sur la manière de demander des comptes aux gouvernements sur les politiques et les décisions prises dans le domaine des financements et de l’accès aux traitements ; et pour porter un plaidoyer sur l’accès universel aux traitements VIH.

Retrouvez la liste des signataires de la déclaration communautaire de Paris en cliquant ici.

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