La France restera-t-elle un moteur de la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme ?

Le 30 avril dernier, Laurent Fabius (Ministre français des Affaires étrangères), Pascale Canfin (Ministre français du Développement) et certain de leurs conseillers, recevaient les représentants des associations AIDES, Coalition PLUS, Sidaction et Act Up-Paris au 37 Quai d’Orsay, siège parisien du ministère des Affaires étrangères, pour s’entretenir avec eux de l’engagement de la France dans la lutte contre le VIH/sida à l’international. Une réunion de 45 minutes, qui a permis aux associations de rappeler à leurs interlocuteurs que les Français étaient très attachés à cette cause, comme en témoignent notamment les 170 000 donateurs soutenant les combats de AIDES, membre cofondateur de Coalition PLUS, ainsi que le remarquable succès de l’édition 2013 du Sidaction. Et de souligner que la France pouvait être fière de ce qu’elle avait accompli dans le domaine de la lutte contre cette pandémie en tant que moteur de la constitution du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme (FM), de la mise en place de la taxe solidaire sur les billets d’avion finançant UNITAID et de la création de la Taxe sur les Transactions Financières (TTF).

A cette occasion, la délégation a également pu rappeler que des 8 Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) adoptés en 2000 à New York par le États membres de l’ONU, la lutte contre les trois grandes pandémies (VIH/sida, Tuberculose et paludisme) était celui qui avait le plus progressé. En effet, 9 millions de vie ont été sauvées depuis lors, la moitié des personnes éligibles à un traitement antisida y ont désormais accès, et le FM finance aujourd’hui 80% de la lutte contre la tuberculose et 50% de la lutte contre le paludisme à l’échelle mondiale. Ces progrès sont d’ailleurs visibles sur le terrain : à l’évidence, les pays les plus touchés par ces fléaux ont su organiser efficacement l’accès aux traitements lorsqu’on leur en a donné les moyens et leurs populations, de même que leurs finances publiques, en ont très largement bénéficié à terme.

Reste – et les représentant associatifs n’ont pas manqué de l’exprimer – le sentiment que l’engagement politique en faveur de l’aide internationale au développement tend à faiblir de manière inquiétante en ce moment : celui-ci n’est effectivement plus celui qu’il était il y a de cela quelques années encore, plombé, voire paralysé qu’il est aujourd’hui par l’impact dévastateur d’une crise financière mondiale qui malmène, entre autres, l’ensemble des pays industrialisés, principaux contributeurs du FM. Des remèdes efficaces existent pourtant, qui permettraient de passer ce cap économique difficile tout en maintenant, voire en augmentant l’aide internationale à la santé et au développement. Les quatre associations ont d’ailleurs tenu à relever que les organisations de la société civile française se mobilisent et travaillent de longue date, de concert avec nombre de leurs partenaires internationaux, pour être force de proposition en la matière.

En effet, les associations AIDES, Coalition PLUS, Sidaction et Act Up-Paris soutiennent avec force et détermination la reconstitution du FM à hauteur de 15 milliards de dollars pour le prochain cycle de 3 ans. Certaines d’entres elles sont membres des délégations de la société civile du FM et prennent part aux travaux du réseau des plaideurs pour le Fonds mondial (Global Fund Advocates Network – GFAN). Par ailleurs, plusieurs réunions internationales auxquelles elles ont pris une part active, ont été organisées depuis le début de l’année 2013 pour travailler, en concertation avec les institutions internationales et certains partenaires techniques tels que l’ONUSIDA, l’OMS et Roll Back Malaria, à l’estimation des besoins de financement pour la période 2014 – 2016, en tenant notamment compte des récentes avancées scientifiques, de la mise en œuvre des programmes dans les pays ou encore de la nécessaire mise à niveau des systèmes communautaires et de santé.

Et la situation est désormais parfaitement claire. En se basant sur les scénarios les plus optimistes, pour parvenir à une couverture d’environ 85% des besoins mondiaux d’ici à fin 2016 et impacter ainsi réellement sur les trois pandémies les plus meurtrières de notre Histoire, il est impératif de mobiliser 87 milliards de dollars sur 3 ans : 37 milliards de dollars en augmentant les ressources domestiques des pays, 24 milliards de dollars en maintenant des financements préexistants hors Fonds mondial, 15 milliards de dollars en reconstituant intégralement le FM pour ce nouveau cycle de 3 ans et…11 milliards de dollars qu’il reste encore à trouver.

S’appuyant sur ce constat et profitant de leur audience au Quai d’Orsay, les associations ont d’ailleurs souhaité attirer l’attention de messieurs Fabius et Canfin sur le fait que la contribution de la France à l’effort collectif devait non pas être maintenue à hauteur de ce qu’elle est actuellement, mais impérativement augmenter de manière significative dans les années à venir, rappelant au passage que François Hollande en personne s’y était engagé à maintes reprises durant sa campagne présidentielle, ainsi que depuis son élection à la tête de l’Etat français en mai 2012. Concrètement, de 360 millions de dollars actuellement, la contribution française au FM devrait passer à 600 millions. Un message bien reçu par les deux ministres, qui n’ont toutefois pas caché leur scepticisme sur ce point. En cause – on peut s’en douter – une période de contraintes budgétaires historiquement fortes. Certes, le maximum sera fait pour avancer en ce sens, assure-t-on, en mobilisant notamment la TTF et la taxe solidaire sur les billets d’avion. Mais au final, c’est le président Hollande qui arbitrera en fonction des moyens de l’Etat français.

La rencontre arrivant à son terme, Laurent Fabius s’est toutefois formellement engagé devant les associations présentes à ne par réduire la contribution de la France au FM, assurant que des mesures avaient d’ores et déjà été prises pour neutraliser les effets de la crise sur cette enveloppe budgétaire jugée primordiale. Le Président Hollande, a-t-on appris, a par exemple décidé d’augmenter la taxe solidaire sur les billets d’avion; mesure qui devrait entrer en vigueur très prochainement et générer rapidement de précieuses recettes supplémentaires. Par ailleurs, la TTF française porte déjà ses fruits et contribue au financement de certains enjeux clés du développement. Ainsi, pour l’année 2013, il a été décidé d’en affecter le 10% à la santé maternelle et infantile, ainsi que pour l’accès à l’eau dans les pays les plus pauvres de la planète. Mais le ministre est catégorique : la France aura plus que jamais besoin de l’aide des associations de lutte contre le VIH/sida pour appuyer sur les négociations en cours, visant la mise en place de la TTF européenne. Car si celle-ci a été adoptée par onze pays de l’UE dont la France le 22 janvier dernier, le gouvernement français est pour l’heure minoritaire dans sa volonté d’en affecter une partie aux questions de développement et de santé, la priorité semblant aller à la réduction des déficits publics.

Photo : Laurent Fabius, Ministre français des Affaires étrangères (©Bertrand Langlois/AFP)

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