A Bamako, les travailleuses du sexe mobilisées contre le sida

 A l’occasion du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, les travailleuses du sexe mobilisées pour un meilleur accès à la santé et la défense de leurs droits prennent la parole. Rencontre à Bamako avec Ami et Bintou, qui sensibilisent leur communautés aux enjeux du VIH/sida, avec l’appui d’ARCAD-Sida, membre de Coalition PLUS au Mali. Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, 24% des travailleuses du sexe vivent avec le VIH.

Bintou : « J’évite les contaminations à d’autres »

« J’ai commencé à faire le métier de travailleuse de sexe à 14 ans, par curiosité mais surtout par nécessité. Aujourd’hui j’en ai 26. C’est pour aider ma famille que je me suis engagée. Je n’ai pas eu la chance de faire des études : j’ai arrêté au primaire. Orpheline, j’ai commencé à me prendre en charge financièrement très jeune et à m’occuper aussi de mon frère et de ma sœur. Actuellement, je travaille surtout dans les bars et en maison close car c’est plus sécurisé pour nous. J’ai plus de 10 clients si la journée est bonne, sinon il y a des jours où j’en n’ai que 2 ou 3.

Je gagne bien ma vie. Je parviens à louer un 2 pièces et à élever mes 2 enfants. J’ai un garçon de 6 ans et une fillette de 4 ans, que j’ai accueillie après le décès de sa maman. Séropositive, elle était l’une de mes collègues… J’aide aussi ma sœur et mon frère.

Je vis avec le VIH depuis de longues années mais j’ai pu avoir mon garçon sans qu’il ne soit infecté. Tous les jours, je prends mon traitement ! Aujourd’hui, je suis en bonne santé et surtout sereine. Etant suivie à la Clinique des Halles [clinique associative gérée par ARCAD-Sida ouverte aux populations particulièrement vulnérable au VIH, ndlr], j’ai la chance d’avoir accès au dépistage du cancer du col de l’utérus. J’y fais aussi le diagnostic et le traitement de mes IST [infections sexuellement transmissibles].  

« Grâce à ARCAD-Sida, j’ai développé une meilleure estime de moi-même »

Avant de connaître ARCAD-SIDA, j’évitais au maximum les centres de santé car j’étais tout le temps mal reçue. C’est à l’occasion d’une action de prévention dans un des bars où je travaillais que j’ai rencontré les équipes d’ARCAD-SIDA. J’y ai développé une meilleure estime de moi-même et j’ai commencé à me sentir importante. 

Maintenant, je suis paire-éducatrice et paire-mobilisatrice depuis que j’ai suivi des ateliers de renforcement de capacités. Je mène des opérations de sensibilisation et de prévention auprès des autres travailleuses du sexe. Je m’occupe parfois de la  distribution des traitements antirétroviraux au sein de ma communauté. J’adore le travail que je fais avec ARCAD-SIDA car j’évite les contaminations à d’autres et surtout j’aide mes consœurs à ne pas mourir dans la « honte » et à vivre dignement. »

Ami : « J’ai appris à respecter ce métier et à me faire respecter » 

« J’ai 35 ans. Célibataire et maman d’une fille de 11 ans, je travaille dans une maison close de Bamako.

Je  suis travailleuse de sexe depuis que j’ai 15 ans. J’étais alors au lycée. C’est une camarade de classe qui m’a « initiée » en m’amenant dans les bars et maquis quand nous avions des heures creuses. Au début, j’étais gênée et juste spectatrice, puis j’ai commencé à faire des passes pour avoir de l’argent comme mes amies.

Suite au décès de mon père,  je me suis davantage engagée dans le métier pour aider la famille : ma mère s’est retrouvée sans ressources avec 6 enfants à charge. Je faisais des passes dans certains bars et sur le trottoir avant de trouver une maison close, où je loue une chambre de façon journalière. 

Au début j’avais honte de mon travail. Maintenant, du fait que cela m’a beaucoup aidée et après certains échanges, j’ai appris à respecter ce métier et à me faire respecter. Aujourd’hui, je gagne bien ma vie avec ce travail : j’ai inscrit ma fille à l’école, je participe – pour ne pas dire prends en charge – les dépenses de toute la famille (loyer, nourriture…)

« Grâce à ARCAD-Sida, je bénéficie du dépistage et d’un suivi régulier »

J’ai la grande chance d’être encore séronégative. Il faut dire que, comme je suis instruite, j’ai tout de suite pris les précautions qui s’imposent dans mon travail. Tous les trois mois, je fais des dépistage du VIH avec les animatrices d’ARCAD-SIDA. Régulièrement je me rends à la Clinique des Halles, pour bénéficier du suivi des IST. J’utilise régulièrement le préservatif et le gel, même si c’est parfois difficile. 

J’ai connu ARCAD-SIDA grâce à une collègue, alors que j’avais une IST que je n’arrivais pas à soigner. J’ai bénéficié des programmes, puis les animatrices m’ont proposé d’intégrer des sessions de renforcement de capacités pour devenir paire-éducatrice et paire-mobilisatrice. Depuis, je fais un travail de sensibilisation et de prévention au sein de ma communauté. 

L’association m’a apporté et m’apporte vraiment beaucoup. Quand j’ai commencé à fréquenter ARCAD-SIDA, j’ai été surprise que quelqu’un s’occupe de moi et me soigne sans me juger. Ici, je suis considérée comme une personne à part entière et un membre valable de la société. »

Propos recueillis par Cheick Sidibé, chargé de mission Droits humains des populations-clés au sein d’ARCAD-Sida (Mali), en février 2020. Coordination : Malik Samassekou. Les propos ont été édités et condensés pour plus de clarté.

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