Contre la COVID-19 : la coercition est un remède inefficace

Pour ralentir la propagation de la COVID-19, plusieurs gouvernements ont pris des mesures et lois d’exception attentatoires aux droits fondamentaux de communautés déjà fortement stigmatisées et précarisées. Ces mesures coercitives et non inclusives contribuent à aggraver les conséquences du mal que l’on entend combattre.

Ouganda, 3 avril, des militants sont arrêtés au sein de leur association de défense des droits LGBT au prétexte qu’ils contribuent par leur regroupement à la propagation de la COVID-19. Au Nigéria, la commission nationale des droits de l’homme comptait, au 20 avril,  pas moins de dix-huit civils tués par les forces de l’ordre pour violation du couvre-feu mis en place pour ralentir la propagation de l’épidémie. A Montréal, des contraventions de 1546 dollars canadiens ont été adressées à des jeunes sans domicile pour n’avoir pas  respecté les consignes de distanciation sociale. Début mai, en Suisse, deux travailleuses du sexe transgenres sont emprisonnées pour avoir violé l’ordonnance Covid-19 leur interdisant toute activité avec des clients​. 

​Le constat est alarmant : la Covid-19 révélatrice des inégalités sociales est aussi en train de provoquer à divers degrés une résurgence de l’autoritarisme d’Etat dans plusieurs pays, dont certains classés parmi les plus démocratiques. Sous le prétexte d’impératifs de santé publique, certains gouvernements promulguent des mesures et lois d’exception attentatoires aux droits fondamentaux de communautés déjà fortement stigmatisées et précarisées.

Nous savons pourtant que la coercition n’est pas un remède efficace pour combattre une pandémie. Au contraire, le recours excessif au droit criminel et aux sanctions de toutes sortes contribue à aggraver les conséquences du mal que l’on entend combattre. L’ONUSIDA l’a d’ailleurs rappelé dans son dernier rapport consacré aux Droits humains aux temps de covid-19. Et c’est précisément l’une des premières leçons que nous pouvons partager avec les acteurs mobilisés contre la Covid-19, nous, organisations membres du réseau international Coalition PLUS construit pour accompagner et mobiliser les communautés les plus vulnérables au VIH/sida.

“Rien pour nous, sans nous !”

Sur la base de près de quatre décennies de lutte contre le VIH/sida, nos organisations communautaires peuvent aujourd’hui mieux que quiconque témoigner de l’impérieuse nécessité d’accompagner les plus vulnérables dans la définition de leurs besoins en santé, plutôt que de leur imposer par la force des stratégies ou dispositifs sanitaires ne tenant pas compte de leurs réalités et contraintes de vie, et faisant plus de mal que de bien à tous.    

Notre expérience nous montre qu’une riposte sanitaire efficace ne se construit pas sans ou contre les personnes auxquelles elle s’adresse. Et ce pour une raison incontournable : l’ensemble de ces personnes ne disposent ni des mêmes capacités ni des mêmes ressources pour mettre en œuvre les directives sanitaires édictées.

C’est d’ailleurs pour cela que nos organisations se sont développées selon les principes dits de Denver ​: elles se sont  donné pour mot d’ordre de construire avec les communautés des réponses respectueuses, crédibles et adaptées aux problématiques socio-sanitaires auxquelles elles font face.

L’adhésion pleine et entière des personnes ne peut se gagner que si ces personnes sont systématiquement impliquées dans l’élaboration des stratégies de prévention, si leurs besoins, difficultés et limites spécifiques sont pleinement pris en considération. Nier cette évidence revient tout simplement à se passer de leur indispensable collaboration et nous condamne irrémédiablement à l’échec.

Construire une riposte mondiale coordonnée

Une seconde leçon que nous pouvons tirer de notre expérience vient du constat qu’à l’instar du VIH, la Covid-19 se moque des frontières. Mettre fin à cette pandémie exige une mobilisation coordonnée et solidaire à l’échelle internationale. Dans la lignée de l’Organisation mondiale de la santé, Coalition PLUS et ses membres appellent à une accélération de la production de vaccins, de traitements et de tests de diagnostic contre le nouveau coronavirus, mais aussi et surtout à assurer un accès équitable et universel à ces produits de santé.

Notre expérience du développement des premiers traitements antirétroviraux dans les années 1990 nous a appris combien les avancées médicales avaient tendance à rester l’apanage des Etats riches, au prix de millions de vies sacrifiées dans les régions les plus pauvres de la planète. Nos organisations se sont d’ailleurs battues et se battent encore pour que les pays en développement et leurs populations ne soient pas les éternels oubliés du progrès scientifique et des investissements en santé.

A cet égard, la création du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme en 2002 est la parfaite illustration de ce que l’intelligence et la mobilisation collectives peuvent nous apporter de meilleur dans l’épreuve que nous sommes en train de traverser. En 20 ans, grâce à la solidarité internationale, 32 millions de vies ont été sauvées et 18 millions de personnes vivant avec le VIH ont pu bénéficier d’un traitement antirétroviral dans les pays pauvres. Preuve que nous savons nous unir et mutualiser nos forces face à l’adversité. D’autant qu’il ne suffit pas de fabriquer les traitements (principalement en Chine et en Inde), il faut aussi s’assurer qu’ils puissent effectivement arriver jusqu’aux patients (qui vivent majoritairement en Afrique). 

Aujourd’hui, face à la COVID-19, nous n’avons donc pas le droit d’échouer : des millions de vies en dépendent.

Professeure Hakima Himmich, Présidente de Coalition PLUS

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