Hakima Himmich, Présidente de Coalition PLUS : « Les communautés sont les grandes oubliées dans la crise de la COVID-19 »

Du 8 au 11 novembre 2020, Coalition PLUS s’est mobilisée pour la 10ème édition de la Conférence Internationale Francophone VIH/Hépatites/Santé sexuelle/COVID-19 de l’AFRAVIH. A cette occasion, notre Présidente Hakima Himmich a été invitée à intervenir en ouverture de l’événement. Nous vous partageons ici son discours en intégralité.

AFRAVIH 2020 connecté-e-s

COVID-19, VIH, hépatites : le respect des droits fondamentaux est la clé

AFRAVIH connecté-e-s, 8 novembre 2020

« Chers collègues, chers partenaires, chers amis,

Merci aux organisateurs de me donner la parole en plénière d’ouverture de la 10ème conférence internationale francophone AFRAVIH.

Cette conférence est un rendez-vous immanquable pour nous, acteurs et actrices communautaires, unis-es au sein des réseaux de Coalition PLUS déployés sur les continents européen, africain, américain et asiatique. Grâce au partenariat privilégié entre Coalition PLUS et l’AFRAVIH, la voix de ses acteurs résonnera encore plus fort lors de cette conférence. Merci à l’AFRAVIH pour la décision qui a été prise d’organiser la conférence en ligne, malgré les défis et les difficultés que cela implique. Cela nous permet d’entretenir les liens qui nous unissent et cela nous donne l’occasion de rappeler que la démarche communautaire que nous portons auprès des instances onusiennes, comme des gouvernements nationaux, est indispensable pour atteindre les objectifs mondiaux d’élimination du VIH / sida et des hépatites virales.

Ces objectifs ne seront pas atteints tant que les droits fondamentaux des personnes infectées, affectées et vulnérables ne seront pas respectés, tant que la stigmatisation, les discriminations et les inégalités d’accès à la santé subsisteront. Cela vaut pour le VIH, les hépatites virales, mais aussi, dans une certaine mesure, pour la récente pandémie de COVID-19. Pour l’ONUSIDA, de nombreuses formes de stigmatisation et de discriminations sont apparues dans le contexte de cette pandémie. »

COVID-19 : en parler à la première personne

« A propos de la COVID-19, estimant qu’on a besoin, dans cette infection comme dans le VIH, de pouvoir en parler à la première personne, Vincent Pelletier a tellement insisté qu’il m’a convaincue de témoigner de mon vécu à cette tribune.

Fin août, par négligence de ma part, nous avons été contaminés, mon mari et moi, par le SARS-CoV-2. Ma première réaction a été la honte que cela m’arrive à moi, infectiologue, qui plus est présidente d’une coalition prônant la prévention et la réduction des risques. Je l’ai vécu comme un échec personnel. J’étais inquiète pour tous ceux avec qui j’avais été en contact. Quel soulagement que tous aient été testés négatifs ! J’étais culpabilisée et angoissée d’avoir contaminé Mohamed, mon mari, 75 ans et avec des facteurs de risque. Cette culpabilité, mon inquiétude pour lui ont été tellement prégnants que franchement, je n’ai pas eu l’occasion de me préoccuper de moi. Bien que les deux situations soient très différentes, cela m’a rappelé les personnes à qui je faisais l’annonce d’une séropositivité au VIH et dont souvent la première réaction était, « Mon Dieu, j’espère que je n’ai pas contaminé ma femme, mon compagnon », et qui vivaient cette pseudo-culpabilité avec difficulté.

Tout au long de cette épreuve, Mohamed et moi avons bénéficié d’une prise en charge exceptionnelle pour le Maroc. A commencer par le résultat du test PCR en quelques heures. Les premiers jours, nous nous sommes isolés chez nous, où nous étions suivis par mon collègue, le Pr Sodqi, que je ne remercierais jamais assez. Nous avions des symptômes sans gravité (asthénie, anorexie, fièvre), mais j’attendais avec angoisse le 11ème, 12ème jour. Et cela n’a pas raté. Notre état s’est aggravé, moi modérément, Mohamed sérieusement, nécessitant une hospitalisation au Service de Maladie Infectieuse du CHU de Casablanca, où nous avons bénéficié des avancées thérapeutiques tirées de l’expérience de la première vague de la COVID-19 : traitement anticoagulant, dexaméthasone, et surtout, concernant Mohamed, les réanimateurs avaient conscience qu’il fallait tout faire pour éviter l’intubation. Après 12 jours d’hospitalisation, des moments très difficiles, des nuits à surveiller avec angoisse la saturation en oxygène, nous avons pu quitter l’hôpital. »

Pandémies : l’apport des structures communautaires

« Aujourd’hui, nous allons bien et nous avons repris nos activités. Cette issue favorable, nous la devons aux conditions exceptionnelles de prise en charge dont nous avons bénéficié, conditions auxquelles, j’en ai conscience, mes compatriotes n’ont pas accès. Certes, grâce à un fonds spécial COVID, la prise en charge de cette infection est gratuite pour tous, et le ministère de la Santé a investi dans l’aménagement et l’équipement d’unités dédiées à la COVID-19, mais la prise en charge est loin d’être optimale. Les Marocains redoutent l’hospitalisation et arrivent souvent trop tard à l’hôpital.

Là aussi, je ne pouvais m’empêcher de penser à tout ce que l’ensemble de nos structures communautaires dans les différents pays apportent en matière de prise en charge des personnes vivant avec le VIH, et de me dire qu’il était nécessaire d’avoir des structures communautaires complémentaires au système de santé classique, dans tous les pays, pour faire face à toute épidémie, à toute crise sanitaire. Il est évident que nous ne touchons pas les mêmes publics, que dans les contextes de crise sanitaire comme celle que nous traversons les populations les plus vulnérables voient leur accès au soin se réduire, et qu’il est d’autant plus nécessaire d’avoir une présence forte auprès des plus marginalisés. Cela n’est pas le cas dans la mobilisation contre la pandémie de COVID-19, où les communautés ont été les grandes oubliées, que ce soit en France ou dans les pays du Sud.

En France, le Professeur Jean-François Delfraissy, Président du Conseil scientifique COVID-19, a regretté que le gouvernement ne l’ait pas entendu lorsqu’il a recommandé l’implication des associations. Au Maroc, l’ALCS a soumis au Ministère de la Santé un plan d’action sur l’implication des associations dans la riposte à la COVID-19. A ce jour, il n’a pas été donné suite à ce plan. »

COVID-19 : un fonds d’urgence pour faire face à la crise

« Pourtant, face à la COVID-19, notre démarche communautaire a démontré sa pertinence, et ce dans les 50 pays qui composent notre union. Très rapidement, nous avons su nous adapter aux besoins des personnes que nous accompagnons. Cette capacité d’adaptation, nous la devons à la réactivité de nos communautés, qui historiquement, ont toujours su se mobiliser et se réinventer. Mais nous la devons aussi à la flexibilité de nos bailleurs, tels que l’Initiative 5%, l’Agence française de développement, Unitaid ou encore le fonds Robert Carr, qui, dès mars 2020, ont permis à Coalition PLUS de constituer un fonds d’urgence. Ce fonds nous a permis de poursuivre la riposte au VIH dans les meilleures conditions, d’assurer la continuité des soins auprès de nos bénéficiaires et la survie des plus vulnérables.   

Il serait temps que notre voix soit entendue et que la place de nos associations dans les systèmes de santé soit reconnue par tous les Etats. Il serait temps que les organisations internationales, mais aussi nos gouvernements, ne nous considèrent plus comme des simples prestataires de services, mais comme des acteurs à part entière du système de santé.

Je  vous remercie de votre attention. J’en profite pour remercier tous ceux qui nous ont soutenus, Mohamed et moi, pendant ces semaines difficiles, tant au Maroc qu’au niveau international. Ce virus est une cochonnerie que je ne conseille à personne d’attraper. Réduisez les risques et prenez soin de vous ! »

Hakima Himmich, Présidente de Coalition PLUS

Hakima Himmich, Présidente de Coalition PLUS

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