Entretien du ITPC POST avec Hakima Himmich sur le dépistage au Maroc et l’accord ACTA

Article repris de treatpeopleright.org

Hakima Himmich est fondatrice et présidente de l’association marocaine de lutte contre le sida. Nous l’avons interviewé à Casablanca le 10 juillet 2012. Au cours de cet entretien, elle revient sur la question du dépistage au Maroc, qu’elle considère aujourd’hui comme un enjeu prioritaire dans le pays. Hakima Himmich revient également sur la signature par le Maroc de l’accord sur la contrefaçon ACTA, rejeté il y a moins d’un mois par le Parlement Européen.

Hakima Himmich, pour vous quelles sont les priorités dans la lutte contre le sida au Maroc en 2012 ?

La priorité en 2012 demeure l’accès aux traitements. Notre région, la région MENA (Afrique du Nord et Moyen Orient), est la région où le taux de couverture aux antirétroviraux est le plus faible. Il est de 11% et il stagne depuis plusieurs années, il est donc urgent d’élargir l’accès aux traitements. Pour cela, il faut améliorer l’offre de dépistage, et même au Maroc où cette offre est la plus diversifiée, notamment grâce à l’action de notre association, elle reste extrêmement faible. En 2011, pour une population de 30 millions, il y a eu à peine 45 000 dépistages, c’est vraiment ridicule, mais il y a une prise de conscience très nette du ministère de la santé, et une prise de position très forte de notre association, pour améliorer encore l’accès au dépistage.

Quelles sont les actions menées par l’ALCS justement ?

Tout d’abord il faut dire que si au Maroc il y a une offre de dépistage si diversifiée c’est parce que dès la création de l’ALCS en 1988, on s’est battus pour qu’il n’y ait dans notre pays aucun dépistage obligatoire, jamais, en aucun cas. Pour que les déclarations des personnes dépistées dans les hôpitaux soient parfaitement anonymes, nous déclarons l’initiale du nom et du prénom. Malheureusement ce n’est pas le cas dans les autres pays de la région MENA, c’est pour cela que le dépistage a du mal à se développer. Donc à ma connaissance, il n’y a qu’en Mauritanie et en Algérie que la déclaration est anonyme. Même en Tunisie elle ne l’est pas. Donc grâce à cette importante bataille que nous avons gagné dès le début de l’épidémie, notre association a pu mettre en place dès 1992, les premiers centres de dépistages anonymes et gratuits. Aujourd’hui, nous en avons dans 28 villes. Ces centres de dépistage sont principalement implantés dans des villes où nous avons des programmes de prévention et de proximité avec les groupes les plus vulnérables. C’est ainsi que les professionnels du sexe de sexe féminin, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes engagés dans des relations de prostitution, les migrants, les ouvrières qui la plupart du temps quand elles n’ont pas d’emploi se prostituent, les routiers, toutes ces populations, nous avons des programmes avec elles et nous leur proposons, dans le package, le dépistage. Et il est très bien accepté. Nous avons également quatre unités mobiles avec lesquelles nous sillonnons le pays et ce qui est extraordinaire c’est que les marocains n’ont pas honte d’aller se faire dépister. Ils n’hésitent pas. Nous partons souvent en n’ayant pas satisfait toute la demande. Nous organisons également une journée nationale du dépistage, qui est plus adressée cette fois-ci au grand public. Mais malgré cela, par manque principalement de médecins, nous n’arrivons par à faire un nombre suffisant de tests. C’est pour cela que nous avons actuellement un axe de plaidoyer important qui est d’obtenir, que d’abord les infirmiers puissent faire partout le dépistage, et communiquer le résultat. Et surtout comme cela a été le cas en France, nous voulons obtenir que des volontaires de l’ALCS, que des pairs, c’est à dire des professionnels du sexe, des HSH, puissent faire le test à leurs pairs. Nous n’avons pas encore obtenu cela. Au Maroc bien sûr nous utilisons le test rapide depuis 2003, mais jusqu’à ce jour les biologistes exigent une confirmation par Western blot. C’est d’une lourdeur énorme comme le résultat de Western blot met une quinzaine de jours à arriver, nous avons un grand pourcentage de perdus de vue. Donc aujourd’hui nos revendications sont doubles, élargir le dépistage aux volontaires et obtenir que la confirmation puisse se faire par un deuxième test rapide, particulièrement dans les groupes où la prévalence est élevée.

L’ALCS s’est mobilisée ces dernières années contre l’accord sur la contrefaçon ACTA, et récemment cet accord a été rejeté par le parlement européen. Le Maroc a fait parti des pays ayant négocié l’ACTA…

Nous sommes très heureux que le parlement de l’union européenne ait rejeté cet accord injuste parce qu’il allait limiter encore plus l’accès aux génériques, aussi bien au Maroc et dans d’autres pays, mais particulièrement au Maroc puisque notre pays s’est précipité pour signer l’accord ACTA. On se demande bien pourquoi et quel intérêt pour notre pays de signer et nous démarrons dès la rentrée en septembre une campagne visant nos parlementaires pour les convaincre de rejeter à une grande majorité cet accord. Avec la nouvelle constitution, le parlement a énormément de travail. Il doit voter les lois organiques de la nouvelle constitution et je sais que c’est un travail énorme, dans tous les cas nous démarrons notre campagne de plaidoyer avant l’ouverture de la prochaine session du parlement.

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