Maroc / Hépatite C – Brisons les monopoles pour mieux dépister et soigner

C’est le paradoxe marocain. Les malades de l’hépatite C disposent désormais au Maroc de traitements efficaces, à coûts réduits, grâce à la production de génériques dans le pays. En revanche, l’accès au dépistage et aux examens biologiques reste largement insuffisant. En cause : les prix ! C’est ce que pointe l’étude publiée par l’Association de lutte contre le sida (ALCS), « Diagnostic et suivi de l’hépatite virale C au Maroc – Etat des lieux, stratégies pour un accès universel », incluant une comparaison internationale avec 20 pays au profil socio-économique similaire.

 

Pour un dépistage accessible à tous 

Face au développement des hépatites qui chaque année dans le monde tuent encore plus de vies que le sida, les autorités marocaines se sont engagées à lancer un plan national d’élimination des hépatites virales d’ici à 2030 conformément aux objectifs de l’ONU. Actuellement près de 1,2% de la population marocaine est infectée à l’hépatite C mais l’écrasante majorité ne le sait pas, faute de dépistage. Sans traitement pris à temps, la plupart des malades développeront une cirrhose ou un cancer du foie et continueront de transmettre le virus sans le savoir.

« Il est nécessaire d’offrir un dépistage gratuit pour tous. C’est la condition sine qua non pour continuer d’espérer l’élimination du virus d’ici 2030. Comme le démontre l’étude, son prix actuel constitue une barrière aux soins », explique Pr Mustapha Sodqi de l’ALCS.

 

Urgence à faire baisser le coût des examens

Concernant les examens biologiques nécessaires au diagnostic et au suivi de l’infection (Test rapide d’Orientation Diagnostique (TROD), Charge Virale, Génotypage, Examens de la fibrose hépatique), l’étude confirme la gratuité pour les bénéficiaires du régime d’assistance médicale aux malades économiquement démunis « RAMED » et de l’assurance médicale obligatoire « AMO ». Mais, seule une partie de la population marocaine est affilée à ces systèmes d’assurance (35% de la population marocaine ne bénéficie d’aucune couverture). Et, au final, le coût global revient à l’Etat marocain et pèse dans le budget national.

Or, si les prix des examens restent élevés au Maroc, c’est qu’ils sont maintenus artificiellement élevés. C’est à la fois le cas pour l’examen de charge virale, utilisé aux moments du dépistage puis d’évaluation de l’efficacité du traitement, mais aussi pour les examens non-invasifs d’évaluation de la fibrose hépatique. L’étude démontre que le nombre limité de laboratoires pharmaceutiques impliqués dans le secteur et détenant des brevets sur les bio-technologies crée une situation de quasi-monopole qui fausse la concurrence. Il est urgent de briser ces monopoles dans l’intérêt de la santé de tous.

« Il est particulièrement choquant de constater que les monopoles sur ces bio-technologies utilisées notamment pour l’évaluation de la fibrose hépatique ont été développées dans le cadre de la recherche publique française. Comme le montre l’étude que nous publions, ces monopoles sont une barrière à l’accès dans de nombreux pays dont le Maroc », alerte Pr Hakima Himmich, fondatrice de l’ALCS et présidente de Coalition PLUS, union internationale d’associations communautaires de lutte contre le VIH et les hépatites virales.

« Si rien n’est fait pour trouver une solution face à ces monopoles, nous risquons de nous retrouver dans une situation absurde où la part allouée aux examens de diagnostic et de suivi de l’infection sera plus importante que celle dédiée aux traitements », prévient Pr Mehdi Karkouri, Président de l’ALCS.

 

Principales recommandations de l’étude :

Réalisée entre août 2017 et mars 2018, par une consultante extérieure et avec le soutien de Coalition PLUS et d’UNITAID, l’étude « Diagnostic et suivi de l’hépatite virale C au Maroc – Etat des lieux, stratégies pour un accès universel » formule une série de recommandations afin d’ouvrir un débat constructif et d’aboutir à une stratégie nationale efficace d’éradication des hépatites.

  1. Mise en place de la gratuité absolue et immédiate dans la prise en charge des examens biologiques liés au VHC.
  2. Révision des stratégies en matière d’approvisionnement en réactifs et d’acquisition de plateformes pour la charge virale, y compris par l’acquisition de plateformes ouvertes pour pratiquer les examens de charge virale et de génotypage. Avoir recours à des plateformes ouvertes permettrait d’introduire une concurrence entre les laboratoires pharmaceutiques et in fine une renégociation des prix avec Roche, Abbott et Cepheid, les trois producteurs actuellement sur le marché marocain. L’introduction de plateformes ouvertes pourrait par ailleurs permettre à des producteurs locaux de se lancer dans la production de réactifs « génériques ».
  3. L’émission de licences ouvertes de la part des institutions publiques françaises (AP-HP, INSERM, ESPCI, etc.) détentrices de brevets sur les technologies permettant l’évaluation de la fibrose hépatique, afin de permettre à de nouveaux producteurs, y compris marocains, de fabriquer ces plateformes de haute technologie et d’acquérir le savoir-faire en matière de fabrication. Pour cela, des transferts de technologies pourraient être effectués.
  4. Une concertation au niveau national regroupant les différents acteurs afin de réfléchir à une stratégie nationale en matière de fabrication de produits et technologies de santé, s’inspirant des pays qui ont su développer cette production locale, comme le Brésil par exemple.

 

Télécharger le rapport sur le site de l’ALCS

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