Migrants en santé précaire: Les autorités suisses accusées d’irresponsabilité

La pratique des autorités suisses en matière de renvoi de migrants et de requérants d’asile déboutés nécessitant des soins tend souvent à sous-estimer le risque d’atteinte grave à leur santé, voire de mise en danger.

C’est le constat que font l’Observatoire romand du Droit d’Asile et des Etrangers (ODAE romand) et le Groupe sida Genève, membre de Coalition PLUS, dans un rapport intitulé « Renvois & accès aux soins : Enjeux juridiques et conséquences sur le plan humain de la pratique suisse en matière de renvois d’étrangers à la santé précaire ». Sur la base de sept cas concrets documentés par l’Observatoire, cette analyse illustre les sérieux manquements observés dans les procédures de régularisation ou d’éloignement lorsque des raisons médicales graves sont invoquées.

Fruit d’une collaboration entre l’ODAE romand et le Groupe sida Genève, le rapport révèle les conséquences potentiellement dramatiques des décisions émises par l’Office fédéral des migrations (ODM) et le Tribunal administratif fédéral (TAF) à l’encontre de personnes étrangères dont la santé est précaire ou qui nécessitent des soins particuliers. Les cas documentés témoignent d’une application problématique, voire abusive du droit actuel, et touchent des « personnes doublement vulnérables de par leur maladie d’un côté et de par leur statut légal de l’autre ».

L’instruction et la motivation insuffisantes de nombreuses décisions de l’ODM portent atteinte au droit d’être entendu des personnes concernées. Les recherches de l’Office en matière d’accès aux soins dans les pays d’origine sont fréquemment sommaires et les sources utilisées se révèlent souvent être anciennes ou partiales, ou alors ne sont pas citées du tout. Près de la moitié des cas d’admission provisoire pour raison de santé résultent d’une décision sur recours auprès du TAF.

« Que la moitié des permis F octroyés par l’Office pour raisons médicales l’aient été suite à un recours au TAF doit être lu comme un sérieux désaveu des procédés et méthodes de l’autorité fédérale » estime Mariana Duarte, coordinatrice de l’ODAE romand.

Par ailleurs, la méfiance des autorités envers les médecins traitants et leurs diagnostics – voire même la substitution à ceux-ci par des fonctionnaires a priori dépourvus de connaissances médicales – constitue un obstacle à l’examen objectif de l’état de santé de la personne concernée.

Selon le Dr. Laurent Subilia, médecin responsable du Centre de consultation pour victimes de la guerre et de la torture aux Hôpitaux universitaires de Genève, « les diagnostics et traitements prescrits ne devraient pas être mis en cause dans l’examen d’une demande de permis sans arguments médicaux étayés ».

Comme le précise la Dre Samia Hurst de l’Institut d’éthique biomédicale de l’Université de Genève qui préface le rapport, « [l]es médecins ne sont pas seulement – ni toujours – défenseurs de leurs patients. » Ils sont plutôt les experts et les garants de la juste application du droit.

En effet, la législation suisse prévoit la prise en compte de l’état de santé dans l’octroi d’un permis humanitaire ou d’une admission provisoire lorsque l’exécution du renvoi entraînerait une « mise en danger » ou une « atteinte sérieuse » à l’intégrité corporelle ou psychique en l’absence de soins de santé essentiels.

Aussi bien l’ODM que le TAF se contentent trop souvent d’une disponibilité générale tout à fait théorique des soins de santé requis. Or, cela n’est pas une garantie d’accès effectif pour la personne concernée.

L’examen par les autorités ignore trop souvent le manque de commercialisation de certains traitements dans les pays ou les ruptures de stocks répétées. Elle minimise l’importance de l’absence d’assurance maladie et des coûts dépassant souvent les moyens financiers des personnes concernées ou de leurs proches.

« La différence entre disponibilité théorique et accès effectif peut être la différence entre la vie et la mort pour les personnes concernées » précise Cornelia Tinguely, avocate du Groupe sida Genève.

Ces carences d’instruction et de motivation de la part de l’Office imposent aux personnes concernées et leurs mandataires de prouver qu’il n’y aura pas accès effectif aux soins nécessaires et de fait renverse le fardeau de la preuve. Les démarches et les recherches approfondies que cela demande dépassent souvent les ressources des personnes concernées et de leurs mandataires.

Cette tendance risque de s’accentuer encore davantage dans le cadre de l’actuelle révision de la loi suisse sur l’asile. D’une part, il est proposé que tout fait médical invoqué tardivement et constaté par un autre médecin que celui mandaté par l’ODM ne soit dans le futur qu’exceptionnellement admis ; d’autre part, lorsqu’il s’agira d’un ressortissant d’un pays considéré comme « sûr », la charge de prouver l’inexigibilité de son renvoi pour raisons médicales reposera entièrement sur le requérant.

« Si ces durcissements en matière d’asile actuellement devant le Parlement sont adoptés, cela deviendra quasi impossible de s’opposer au renvoi pour raison médicale » juge François Miéville, juriste au Centre social protestant de Genève. « Ces mesures frapperont les plus vulnérables des requérants » – précise-t-il.

Retrouvez le rapport de l’ODAE romand et du Groupe sida Genève dans son intégralité en libre téléchargement en cliquant ici.

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