Pandémies, climat: l’Europe doit prendre ses responsabilités

Tribune publiée dans l’édition du 24 octobre 2014 de Libération.

Par Françoise Barré-Sinoussi, Professeure, chercheure en virologie, prix Nobel de médecine 2008 et Jean Jouzel, Climatologue, glaciologue et membre du Groupe d’experts intergouverne­mental sur l’évolution du climat (Giec, Prix Nobel de la paix 2007)

Notre monde traverse une période critique : une période où si nous restons inertes, des millions de vies humaines seront perdues. Si nous ne pouvons pas échapper à toutes les catastrophes à venir, en revanche, nous pouvons nous adapter à certaines d’entre elles, et d’autres peuvent être évitées. Ainsi, ces millions de vies humaines seront sauvées.

Dès l’apparition de l’épidémie de VIH-sida, la France a joué un rôle incontournable au niveau international dans la lutte contre la maladie, que ce soit dans les domaines de la recherche, de l’organisation ou du financement de la lutte dans les pays les plus pauvres. La France a été à l’initiative de la création de deux institutions essentielles pour l’accès aux soins et aux traitements dans les pays à ressources limitées: le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme dont la France est le deuxième contributeur, et Unitaid, dont la France est le principal contributeur.

Un engagement, plus fébrile, a aussi été démontré dans le domaine de la lutte contre le changement climatique. La France a annoncé, lors du sommet Climat à New York, vouloir contribuer à hauteur de un milliard de dollars – et non d’euros comme bon nombre d’experts l’espéraient – au Fonds vert pour le climat, qui doit mobiliser 15 milliards de dollars sur les trois prochaines an- nées, et 100 milliards jusqu’en 2020. Un tel engagement est bienvenu, mais perfectible. Par ailleurs, le changement climatique risque de devenir dangereux si nous ne faisons rien pour limiter les émissions de gaz à effets de serre. Il aura des effets sur l’ensemble des populations, mais touchera avant tout celles les plus pauvres dans les pays en développement. Une personne sur 9 souffre de la faim dans le monde. Alors que ce chiffre est en baisse depuis 1990, le changement climatique pourrait inverser la tendance et pousser 50 millions de personnes supplémentaires dans la malnutrition d’ici à 2050.

Nous avons des problèmes, mais il y a aussi des solutions.

Le monde entre dans une période critique et le gouvernement doit continuer à se montrer à la hauteur des engagements qu’il a su prendre jusqu’à présent. Nous avons encore la possibilité et les moyens de limiter les dommages, de nous adapter au changement climatique et d’inverser la courbe de l’épidémie de VIH-sida et de bien d’autres maladies liées à la pauvreté, pour les générations d’aujourd’hui et celles à venir. Pour mettre fin au VIH- sida, qui touche 35 millions de malades, améliorer la santé de ces générations actuelles et futures et pour éviter que les populations les plus pauvres ne paient encore l’irresponsabilité climatique des pays développés, il faut se mobiliser davantage.

La France a déjà montré l’exemple avec la mise en place de financements innovants alloués à la solidarité internationale : taxe prélevée sur les billets d’avion à travers Unitaid et création de la taxe sur les transactions financières en 2012 dont 25% de ses revenus ont été alloués à l’aide au développement. Et ces initiatives solidaires continuent de voir le jour. Une taxe sur les transactions financières est en train de se décider dans dix pays de l’Union européenne. Ce projet, porté par l’Allemagne et par la France, représente un enjeu crucial pour donner les moyens aux pays les plus pauvres de s’adapter au changement climatique et de lutter contre le sida et bien d’autres pandémies, comme nous le rappelle bien cruellement l’épidémie Ebola. François Hollande, déjà en tant que candidat mais encore plus en tant que président, a affirmé, à de nombreuses reprises, qu’il souhaitait affecter une «partie significative du produit aux domaines de l’environnement et de la santé».

C’est une vision politique unifiée qu’il faut partager à dix et à bien plus en Europe. C’est le choix d’un investissement durable pour éviter l’explosion du nombre de malades et de réfugiés climatiques.

Donnons les moyens aux pays les plus pauvres de s’adapter au changement climatique et de lutter contre le sida et d’autres pandémies, comme nous le rappelle l’épidémie Ebola.
La France doit continuer à porter son rôle de leader. Elle doit convaincre les neuf autres Etats de l’UE de contribuer eux aussi au financement durable de la lutte contre les maladies de la pauvreté – et de la santé en général – et de l’adaptation au changement climatique. C’est à cette condition que nous aurons les moyens de donner à tous accès aux progrès médicaux et de réunir les conditions d’adaptations environnementales qui participeront à l’amélioration des conditions des populations les plus pauvres.

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