Covid-19 : à Buenos Aires, les habitantes de l’hôtel Gondolin s’organisent face à la pandémie

Situé dans le quartier de Villa Crespo à Buenos Aires, l’hôtel Gondolin héberge une quarantaine de femmes trans. Certaines y habitent depuis plus de vingt ans, d’autres viennent tout juste d’intégrer la communauté. Dans cet espace autogéré, la solidarité n’est pas un vain mot. Avec le soutien de Coalition PLUS et de Fundación Huésped, son association membre en Argentine, les habitantes du Gondolin ont fait front, ensemble, pour combattre la COVID-19.

L’hôtel Gondolin, un refuge pour les femmes trans 

L'hôtel Gondolin. Crédit : Fundacion Huesped, Buenos Aires / Argentine, mars 2021

L’histoire du Gondolin montre la force de la mobilisation communautaire. En 1996, l’hôtel appartient à un propriétaire peu scrupuleux, qui loue des chambres aux travailleuses du sexe trans au double de leur prix, sans pour autant entretenir son bien.

Sale, envahi par les rats, l’hôtel menace de s’effondrer et son système électrique devient un danger de chaque instant pour les habitantes. Excédées, elles portent plainte auprès des autorités, qui déclarent la fermeture administrative des lieux.

Mais les femmes du Gondolin, stigmatisées et discriminées en raison de leur identité de genre, n’ont nulle part où aller. Elles décident donc de rester, chassent le propriétaire et s’approprient l’hôtel, qu’elles rénovent pour le rendre à nouveau habitable. Ensemble, elles mettent en place un système d’autogestion, avec leurs propres règles de cohabitation. 

Depuis 2015, les habitantes du Gondolin se sont constituées en association. Solange en est la trésorière. “Nous accueillons des femmes trans de tous horizons, explique-t-elle. “Actuellement, 40 femmes logent à l’hôtel. Certaines viennent d’autres pays, d’autres de provinces plus conservatrices d’Argentine. Toutes sont à la recherche d’une vie meilleure. Au Gondolin, nous les soutenons dans la réalisation de leurs objectifs scolaires et professionnels, mais aussi dans l’affirmation de leur genre.” 

Une communauté solidaire et réactive face à la Covid-19

Lorsque la pandémie de COVID-19 a submergé Buenos Aires, les habitantes du Gondolin se sont organisées pour réduire l’impact de la crise sur leur communauté. En effet, la plupart d’entre elles exercent le travail du sexe et ne pouvaient donc pas poursuivre leur activité pendant la période de confinement. Afin de compenser leurs pertes de revenus, la communauté a notamment pu faire appel au fonds d’urgence de Coalition PLUS, à travers son association membre en Argentine, Fundación Huésped. Ce financement a permis d’assurer la livraison de denrées alimentaires, d’ustensiles de cuisine et de produits d’hygiène.

Pour que les filles puissent couvrir leurs dépenses, tout en respectant le confinement, nous avons décidé de gérer collectivement certaines prestations d’aide sociale”, raconte Solange. “Mais cela n’a pas suffi à éliminer totalement les risques d’infection au coronavirus, car nous sommes nombreuses à vivre au Gondolin. Alors, quand certaines des filles ont commencé à montrer des symptômes de la COVID-19, nous avons contacté les autorités sanitaires de la ville pour demander un dépistage à domicile. Comme la majorité d’entre nous étaient positives au coronavirus, l’hôtel est devenu notre lieu d’isolement.”

Covid-19 : des interventions adaptées aux besoins des femmes trans en période de confinement

Pendant le confinement, de nouvelles demandes d’interventions ont émergé au sein du Gondolin. Coalition PLUS et Fundación Huésped se sont mobilisées pour y répondre. Par exemple, avec le soutien de Coalition PLUS, Fundación Huésped a organisé un atelier virtuel, afin d’informer les habitantes de l’hôtel sur la COVID-19. Des supports de communication ont également été réalisés, afin de les sensibiliser aux gestes barrières contre le virus. “C’était une période d’incertitude, les filles avaient peur de ce qui pouvait leur arriver après un test positif à la COVID-19. L’atelier virtuel organisé par la Fundacion Huesped a permis de les rassurer”, affirme Solange. 

Grâce à l’appui de Coalition PLUS, Fundación Huésped a en outre pu poursuivre ses actions de prévention en santé sexuelle au sein de l’hôtel. Ainsi, plusieurs sessions d’information à distance ont pu avoir lieu, sur des thématiques aussi variées que les traitements hormonaux, la santé anale, ou encore la prévention du VIH et des IST (infections sexuellement transmissibles). 

Enfin, Coalition PLUS et Fundación Huésped ont mis en place des services de santé à domicile pour toutes les femmes résidant au Gondolin. “Dans le respect des mesures sanitaires, nous avons organisé une campagne de vaccination contre la grippe sur place, à l’hôtel. Les filles ont aussi pu se faire dépister pour le VIH et la syphilis et bénéficier d’une prise en charge adéquate en cas de test positif”, précise Solange. 

La santé mentale des femmes trans, une priorité pendant la crise sanitaire 

Dans un contexte de crise anxiogène et générateur de conflits, préserver la santé mentale de chaque résidente était essentiel pour garantir la qualité de vie de toute la communauté. “Le confinement a duré 7 mois à Buenos Aires et la crise sanitaire a durement affecté les habitantes du Gondolin. Lorsqu’elles sortaient travailler, elles craignaient d’être infectées par la COVID-19. Lorsqu’elles restaient confinées, à 40 dans un espace restreint, des conflits pouvaient vite éclater, d’autant qu’elles s’ennuyaient et avaient besoin de divertissement. Avec le soutien de Coalition PLUS, nous avons donc produit des histoires courtes, des jeux, et d’autres contenus pour qu’elles puissent se changer les idées et renforcer leurs relations”, indique Inès Aristegui, Responsable de la recherche communautaire à Fundación Huésped. 

Par ailleurs, dans le cadre d’une étude soutenue par Coalition PLUS, Fundación Huésped a conçu, avec le concours de promotrices de santé trans, un dispositif de soutien psycho-social à distance. “A travers ces interventions à distance, nous souhaitons donner aux femmes trans les outils nécessaires pour prendre en charge leur propre santé. La clé, c’est de combattre la stigmatisation, qu’elle provienne de l’extérieur ou qu’elle soit internalisée”, développe Inès Aristegui. “Si, après cette étude, nous constatons que ce dispositif est efficace, notre objectif est de le déployer plus largement. En raison de son format virtuel, il pourrait être répliqué à l’échelle nationale et ainsi bénéficier à un plus grand nombre de femmes trans.

Les femmes trans en Argentine : des défis de santé spécifiques 

Depuis 2012, la loi sur l’identité de genre permet de changer d’état civil sans condition. Pourtant, la stigmatisation et les discriminations transphobes persistent en Argentine. Mais bien que la loi garantisse un accès gratuit au traitement hormonal de substitution (THS) et à la chirurgie d’affirmation de genre, totale ou partielle, les listes d’attentes sont longues. Dans les faits, ces soins vitaux pour beaucoup de personnes trans peuvent s’avérer coûteux. Par ailleurs, les femmes trans sont nombreuses à pratiquer le travail du sexe. Cela les met dans une situation de vulnérabilité, car elles ne sont souvent pas en mesure de négocier l’utilisation du préservatif. Par conséquent, elles sont plus vulnérables au VIH. Selon les estimations de Fundación Huésped, une femme trans sur trois vivrait avec le virus. Beaucoup prennent aussi le risque de se faire injecter du silicone industriel pour affirmer leur genre le plus rapidement possible.

Les femmes trans restent confrontées à des défis de santé spécifiques, qui nécessitent des interventions adaptées”, résume Inés Aristegui. “Le soutien des paires, en particulier, est crucial pour pouvoir ramener ces femmes vers le soin”. 

Restaurer la confiance des femmes trans dans le système de soin 

Solange, la trésorière du Gondolin, fait également partie de l’équipe dédiée à l’engagement communautaire au sein de Fundación Huésped. Grâce à cette double casquette, elle a pu mettre en place un accompagnement personnalisé pour répondre aux problématiques de santé rencontrées par les habitantes de l’hôtel. “Nous facilitons l’accès au dépistage, au traitement, et à tous les services dont elles ont besoin. Afin de restaurer leur confiance dans le système de soins, nous les mettons en relation avec des centres de santé où elles ne seront pas jugées. Nous leur fournissons aussi des informations sur leurs droits”. 

Le partenariat entre les habitantes du Gondolin et Fundación Huésped remonte à 2011. “Plusieurs femmes avaient contracté la tuberculose, mais l’hôpital les avait renvoyées à l’hôtel. Face à cette situation, la communauté était dépassée”, se souvient Inès Aristegui. “L’hôtel est très connu ici, à Buenos Aires. De nombreux hôpitaux et organisations collaborent avec la communauté. Elle est très organisée et très attentive à la santé de ses membres.

S’engager pour la santé et le bien-être de sa communauté, c’est ce qui fait la fierté de Solange. “Ce qui me rend le plus heureuse dans mon travail au Gondolin, c’est de voir mes semblables poursuivre des études, obtenir un emploi déclaré ou monter leur propre entreprise. Savoir que j’ai joué un rôle dans leurs réussites est une source de grande satisfaction. Chaque jour, ma communauté me pousse à donner le meilleur de moi-même et à réaliser des actions dont je ne me serais jamais sentie capable auparavant. Cela me donne de l’espoir : nous devons continuer à nous battre pour un monde meilleur et plus égalitaire”.

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