«Comment comprendre que malgré tous les outils de prévention, plus de 680 000 personnes sont mortes du sida dans le monde en 2020 »

Quarante ans après la découverte des premiers cas de sida, l’épidémie fait toujours rage parmi les personnes les plus exposées au virus. En cause : les violences sociales, étatiques et symbolisent qui éloignent les personnes des soins et de la prévention. Notre tribune publiée en français dans Le Monde et en anglais dans The Guardian ce 1er décembre 2021.

 De la trithérapie en 1996 aux combinaisons d’antirétroviraux à prendre tous les deux mois par simple injection intramusculaire en cours de mise sur le marché, de grandes avancées ont été réalisées en matière de traitement contre le VIH. De nouveaux moyens de prévention comme la prophylaxie préexposition (PrEP) ou l’autotest ont également vu le jour pour aider les personnes à prendre en main leur santé et réduire le nombre des nouvelles infections.

En quarante ans, notre connaissance du virus et de la santé des personnes infectées a beaucoup évolué. Nous savons aujourd’hui que les personnes vivant avec le VIH, sous traitement, ont sensiblement la même espérance de vie que les personnes séronégatives. Mieux, elles peuvent avoir une vie affective et sexuelle très épanouie et ne transmettent plus le virus lorsqu’elles ont une charge virale indétectable.

Alors comment comprendre que malgré tous les outils de prévention dont nous disposons, plus de 680 000 personnes sont mortes du sida dans le monde en 2020 ? Comment comprendre qu’aujourd’hui, encore plus de 10 millions de personnes infectées sont privées de traitements pourtant vitaux ? Comment comprendre que plus de 6 millions de personnes vivant avec le VIH ignorent leur statut sérologique et ne peuvent donc avoir accès aux soins dont elles auraient pourtant tant besoin ?

Volonté politique molle

La réponse à ces questions, nous, réseaux de lutte contre le sida réunissant les personnes infectées, affectées et vulnérables au VIH, ne la connaissons que trop bien. En 2021, comme aux débuts de l’épidémie, le sida continue de toucher de manière disproportionnée les hommes gays et bisexuels, les travailleurs et travailleuses du sexe, les personnes transgenres, les personnes usagères de drogues injectables, les migrants. Selon le Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida (Onusida), ces communautés représentent en effet 93 % des nouvelles infections par le VIH hors d’Afrique subsaharienne.

En cause, les violences sociales, étatiques et symboliques qui éloignent les personnes des soins et de la prévention. Difficile de se protéger du VIH quand avoir du matériel de prévention sur soi, qu’il s’agisse de seringues stériles ou de préservatifs, peut constituer un motif d’arrestation. Difficile de parler de ses pratiques sexuelles à son médecin lorsque l’homophobie imprègne toute la société. Difficile d’accéder aux traitements antirétroviraux lorsque sa simple présence sur un territoire est considérée comme illégale.

Très loin de l’ambitieux objectif mondial d’éliminer le VIH d’ici à 2030, ce constat d’échec est en réalité la conséquence d’une molle volonté de certains décideurs politiques, plus prompts à désigner des boucs émissaires qu’à respecter leurs engagements internationaux et les droits fondamentaux des personnes.

La Russie en est un exemple éclatant. En juin 2021, lors de la dernière réunion de haut niveau sur le VIH/sida de l’ONU, elle a soumis une série d’amendements pour supprimer de la déclaration finale toute référence aux droits humains, à la décriminalisation du travail du sexe et à la réduction des risques liés à l’injection de drogue, prétextant un « affront aux valeurs familiales ». Comment ne pas faire le rapprochement entre ces vues conservatrices et l’inquiétante et rapide progression de l’épidémie de VIH en Russie ?

Ce mépris prend parfois une forme plus feutrée, mais tout aussi redoutable. En 2016 par exemple, les chefs d’Etat et de gouvernement s’étaient engagés à investir 26 milliards de dollars dans la riposte au VIH entre 2016 et 2020. Or seulement 70 % de ce montant ont été alloués, selon l’Onusida, qui note par ailleurs que le déficit de financement pour la riposte au VIH ne cesse de se creuser au fil des années. Si les Etats avaient respecté leurs engagements, 3,5 millions de nouvelles infections et 820 000 décès auraient pu être évités entre 2015 et 2020.

Les pays les plus pauvres en première ligne

En dépit de toute logique de santé publique, les populations les plus exposées au VIH sont particulièrement touchées par cette négligence. Dans les pays à revenu faible et intermédiaire, les programmes qui leur sont consacrés ne représentent que 2 % des financements de la lutte contre le VIH. Selon l’organisation néerlandaise Aidsfonds, le déficit de financement pour ces populations dites « clés » serait de 80 % !

Pourtant, les personnes marginalisées ne manquent pas de ressources et ont démontré depuis longtemps leur capacité à mettre en place des solutions innovantes afin de protéger leurs semblables face aux épidémies, qu’il s’agisse du sida ou plus récemment du Covid-19. Le dépistage par les pairs, par exemple, est extrêmement efficace pour atteindre les personnes les plus éloignées des systèmes de santé.

Ainsi, au Maroc, un tiers des personnes dépistées positives au VIH en 2019 l’ont été par des agents de santé communautaires de l’Association de lutte contre le sida (ALCS), membre de Coalition PLUS, alors même que l’association n’utilise que 10 % des tests disponibles au niveau national. De même, en Equateur, où Kimirina, une autre association membre de Coalition PLUS, a dépisté 900 personnes positives au VIH sur 40 000 tests. Un taux près de six fois supérieur à celui obtenu par le système de santé public.

Le Covid-19 est passé par là. Pour la première fois en vingt ans, les dépistages du VIH ont baissé de 22 % au niveau mondial. L’heure n’est plus aux vœux pieux, mais à l’action. Ce n’est qu’en soutenant les sociétés civiles au niveau local et en finançant massivement les interventions pensées et mises en œuvre par et pour les populations les plus vulnérables à l’épidémie que nous pourrons revenir sur la voie de l’élimination.

Hakima Himmich(présidente de Coalition PLUS) et Camille Spire(présidente d’Aides)

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