30 ans de vie avec le VIH : Emmanuel revient sur son histoire, son parcours militant et sa vision de l’avenir de l’épidémie

Temps de lecture : 4 minutes
Emmanuel

Cela fait 30 ans qu’Emmanuel vit avec le VIH.

Fin 1995, alors qu’il était étudiant en biologie à Strasbourg, un dépistage de routine a révélé sa séropositivité.

« A mon époque, la PrEP n’existait pas et les trithérapies en étaient à leur balbutiement. J’étais dans une stratégie de dépistage régulier, tous les 3-4 mois, et les résultats étaient à chaque fois négatifs. J’y suis donc retourné pour un énième test de routine, et c’est là que le résultat s’est avéré positif. », se souvient-il.

Trente ans se sont écoulés depuis le diagnostic. Aujourd’hui, Emmanuel est chargé du développement des services de santé communautaire pour Coalition PLUS. Il a accepté de revenir sur son histoire, son parcours militant et sa vision de l’avenir de l’épidémie.

Un double coming-out

Le soir même du diagnostic, Emmanuel appelle son entourage pour faire part du résultat de son test.

« J’ai passé des coups de fil à tout mon réseau. Cela faisait un certain nombre de personnes », ajoute-t-il, avec une pointe d’ironie.

Partager l’information avec sa famille a pris plus de temps : près d’un an. Issu d’une “famille traditionnelle”, révéler son statut sérologique impliquait d’abord d’être en capacité d’évoquer ses prises de risque et, de faire son coming-out.

« Annoncer une part de mon orientation sexuelle s’est avéré plus difficile que révéler ma séropositivité, parce que cette dernière est supposée susciter l’empathie ».

Soudain, l’horizon se rétrécit

En 1995, les traitements tels qu’on les connaît aujourd’hui n’existaient pas. Lors du diagnostic, la première question qu’Emmanuel a posée au médecin fut de savoir combien de temps il lui restait à vivre. La réponse a été tranchante et  brutale : 10 ans.

« Tout à coup, l’horizon se rétrécit. Tu te demandes ce que tu gardes dans ta vie, ce que tu lâches, quels projets tu peux encore raisonnablement imaginer. »

Son réflexe suivant a été de s’informer au maximum sur le virus, lui qui ne savait pas grand-chose du VIH.

« Un collègue m’avait apporté des fiches techniques, principalement sur la pathologie du sida, mais c’étaient des choses très dures à lire, parce que le sida, c’est l’étape ultime de la maladie. Alors que moi, j’étais séropositif, séropositif précoce ! ».

Les débuts de son engagement militant

À l’époque, certains médecins étaient hésitants dans la prescription de traitements encore expérimentaux. Les malades devaient se battre pour les obtenir. En parallèle, Emmanuel s’informait sur toutes les stratégies disponibles pour freiner la progression du virus, tout ce qui pouvait l’aider à garder une longueur d’avance sur l’évolution de la maladie.

En 1999, Emmanuel s’engage dans l’association de lutte contre le sida AIDES. Il commence dans un bus d’échange de seringues auprès de personnes sans abri, puis poursuit son parcours militant dans un programme de prévention destiné aux hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH).

Indétectable = Intransmissible : le véritable « game changer »

Il faudra attendre 2011 pour que le principe « Indétectable = Intransmissible » (I=I) soit scientifiquement établi et diffusé à grande échelle grâce à  Prevention Access Campaign. Pourtant, dès 2008, des chercheurs suisses avaient déjà démontré* qu’un traitement efficace pouvait rendre le virus indétectable dans le sang et, par conséquent, intransmissible.

Avant cette confirmation scientifique, Emmanuel a vécu, comme tant d’autres, avec l’angoisse de transmettre le virus.

« Le poids de la responsabilité du risque de transmettre, c’est atroce. Soit tu modifies radicalement ta sexualité, soit tu as du mal à continuer à vivre une sexualité libre, ouverte et épanouie. Alors tu inventes des stratégies pour t’éviter la culpabilité ou le risque. Tu vas chercher des partenaires qui ont le même statut sérologique que toi », raconte-t-il.

Le basculement arrive lorsque les chercheurs confirment qu’une personne vivant avec le VIH, sous traitement et avec une charge virale indétectable depuis au moins six mois, ne transmet plus le virus.

Emmanuel se souvient de cette annonce comme d’un bouleversement :

« Certains n’avaient plus eu de vie sexuelle depuis quinze ans. Des personnes séropositives qui n’avaient jamais osé en parler, qui vivaient dans la peur et la honte. Après cette annonce [I=I], certaines ont pu reprendre une vie sexuelle. »

Malgré la preuve établie en 2011, la méfiance est pourtant longtemps restée de mise.

« Beaucoup de médecins hésitaient à informer leurs patients. Ils avaient peur qu’en leur disant qu’ils n’étaient plus contagieux, ils abandonnent toute prévention. »

Élargir la palette des outils de prévention

Depuis le début de l’épidémie du VIH, les outils à disposition pour prévenir l’infection se sont multipliés. À l’époque, seul le préservatif existait pour se prémunir. Aujourd’hui, il existe des outils comme l’anneau vaginal (pour les femmes) et la PrEP (en comprimé ou en injection) pour tous.

Le combat d’Emmanuel est de faire la promotion de ces nouveaux outils de prévention, en particulier la PrEP. Pour lui, elle est l’outil dont les personnes séropositives ont toujours rêvé, et dont il ne pensait pas que l’existence serait un jour possible avec un tel niveau de protection conféré.

Casser les chaînes de contamination des foyers épidémiques

Pour en revenir à son histoire personnelle, Emmanuel évoque une réalité mise en lumière par Mark Wainberg, un médecin canadien. Lors de la découverte de séropositivité dans certains réseaux sexuels, ce sont 6 à 8 personnes qui partagent le même virus, et qui découvrent leur séropositivité quasi au même moment.

« Lorsqu’on est dans les premiers mois de sa contamination, on ne sait pas encore qu’on vit avec le virus. Et durant ces premiers mois, on est contaminant comme jamais ! Pour donner un ordre d’idée, tu es indétectable sous 20 particules de virus par ml de sang. Lors d’une primo infection, tu peux atteindre jusqu'à 3, 4 millions de particules de virus par ml de sang. En gros, tu es une potentielle bombe épidémique. Ce sont ces premiers mois, où tu ne le sais pas encore et tu n’as pas encore été te faire dépister, que la PrEP pourra résoudre ce qu’on n’arrivera jamais ou difficilement à résoudre autrement. »

La PrEP, son combat

Pour Emmanuel les associations communautaires, comme celles faisant partie du réseau de Coalition PLUS, ont un rôle crucial à jouer :

« La clé, c’est de pouvoir proposer une stratégie hautement efficace à travers la PrEP, en délocalisant le dépistage en milieu communautaire [ndlr : en dehors des structures de santé classique comme les hôpitaux] et en proposant un accompagnement via la PrEP aux personnes séronégatives qui se trouvent à proximité de là où l’épidémie se développe. »

En 2025, Emmanuel s’inquiète de la situation de la lutte.

« On est arrivé à une situation complètement paradoxale où l’on a le Graal, avec ces PrEP à longue durée d’action (jusqu’à 6 mois), et en même temps, on assiste à un effondrement du soutien financier international pour pouvoir déployer ces stratégies. »

C’est avec un mélange de frustration et une pointe de rage qu’Emmanuel évoque cette situation, mais il reste optimiste.

« La lutte contre le VIH/sida a connu des tas de crises. La réponse viendra des communautés. »

Coalition PLUS est une association Don en Confiance depuis 2016. Don en Confiance est un organisme indépendant qui contrôle la bonne utilisation des dons. Pour en savoir plus : www.donenconfiance.org

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