VIH et Covid : ne rejouons pas le même film

Alors que la pandémie gagne du terrain, le nationalisme vaccinal entrave l’accès aux vaccins dans plusieurs pays du Sud. Afin d’éviter les mêmes erreurs qu’avec les traitements contre le sida, il est temps de faire du vaccin, un bien commun public. Notre tribune publiée dans Les Echos, le 13 août 2021.

L’a-t-on déjà oublié ? Il y a 25 ans, en 1996, se produisait le miracle de la trithérapie : des molécules chimiques enfin capables de sauver de la mort les personnes séropositives au VIH. Malgré l’urgence qu’il y avait à stopper l’épidémie de sida cette solution thérapeutique est arrivée 15 ans après la découverte du virus, après moult projets de recherche et essais cliniques.
D’ailleurs, l’arrivée de ces nouveaux médicaments sur le marché avait provoqué une belle polémique. Les laboratoires américains déclaraient qu’ils n’étaient pas en capacité de produire suffisamment de molécules pour le vieux continent ! Quant aux autres continents, ils n’imaginaient même pas en avoir un jour, d’autant que le coût à l’époque était faramineux.
Les militants de la lutte contre le sida notamment français renversèrent la table de la résignation et de la résilience. Et, par un tour de passe-passe, toutes les personnes qui avaient besoin des molécules miracles dans les pays riches ont pu s’en procurer. Ce n’était donc pas si difficile. Il fallait une volonté et une intervention politique.
Mais très vite les activistes du Nord réalisèrent que leurs frères et sœurs nés en Afrique, en Asie ou en Amérique latine, ne bénéficiaient de … rien. Pas même de la compassion des autorités de leurs pays. D’ailleurs, une sorte de mantra était répété par les autorités : « il n’y a pas de sida en Afrique, c’est une maladie de blancs». Face à un tel déni, empreint de mépris, les personnes concernées, au Nord et au Sud, ont commencé à s’organiser et à lancer une mobilisation conjointe et solidaire. Il fallait non seulement convaincre les autorités des pays africains et des pays riches mais aussi contraindre l’industrie pharmaceutique à baisser les prix. Des millions de vies étaient en jeu.
Des années de luttes acharnées plus tard, cette mobilisation a commencé par porter ses fruits. De la création du Fonds de solidarité thérapeutique international au Fonds mondial de lutte contre le sida,la tuberculose et le paludisme en passant par les institutions internationales comme l’OMS, l’ONUSIDA et Unitaid, le message pour « des traitements pour tous et toutes » semblait porter.
D’autres petites victoires symboliques comme celle du procès de Prétoria en avril 2001 ont contribué à redonner espoir aux activistes fortement mobilisés contre l’hégémonie de l’industrie pharmaceutique. En faisant primer le droit aux traitements des personnes infectées sur le respect du droit des brevets, ce procès lançait un signal fort et ouvrait la voie à l’accès à des médicaments moins chers dans les pays les plus pauvres.
Mais aujourd’hui encore, 25 ans après la mise sur le marché de la trithérapie, plus de 10 millions de personnes vivant avec le VIH – dont la majeure partie vivant en Afrique – n’y ont toujours pas accès. Preuve que les inégalités persistent et selon qu’elles vivent au Nord ou au Sud, les personnes infectées n’ont toujours pas les mêmes chances devant le virus.
Quand, soudainement surgit la Covid-19, nous avons eu le sentiment de revivre le film en accéléré… Mais tout y était, et surtout les mauvais moments : le manque de réponse adaptée, les effets d’annonce d’apprentis sorciers en manque de buzz, les pénuries, les incrédules, les complotistes et les défaitistes. Tout était au rendez-vous !
De façon incroyablement rapide, en l’absence de traitements probants, ce furent les vaccins anti-covid qui virent le jour en premier. Tout le monde en voulait. Les dirigeants des pays riches en particulier. Aujourd’hui, plus de 3,3 milliards de doses de vaccins ont déjà été administrées dans le monde. Seulement 1% de ces doses l’a été dans les pays les plus pauvres.
On sait qu’il faudrait que « tout le monde soit protégé ». Mais on se dit « une fois qu’une majorité des habitants de ces pays riches sont vaccinés ». Grossière erreur lorsqu’on sait que si on laisse un virus gambader sans aucun garde-fou, il produit des variants qui, tels des boomerangs reviennent, avec plus ou moins de virulence et de résistance, vers celles et ceux qui pensent en être protégés-es.
Allons-nous attendre des années avant que ces vaccins, de haute qualité, soient disponibles partout sur la planète ? Ou constaterons-nous dans quelques années que seulement une fraction de la population y a accès ? Comme c’est le cas pour les traitements contre le sida.
Il est urgent d’avoir une politique protocolisée face à des pandémies, à des virus émergents qui ne manqueront pas de surgir dans les années à venir, et ainsi admettre que désormais penser se sauver tout seul est inepte. Le nationalisme sanitaire, au-delà de l’odeur pestilentielle qui relargue, n’est pas efficace, il est même dangereux.
Il est temps que la recherche des pays riches puisse servir à un meilleur système de soins sur leur territoire mais aussi, permettre aux pays moins favorisés de prévenir des pandémies et soigner les populations en leur donnant un accès immédiat aux dernières avancées en matière de thérapeutiques ou de vaccination. Il est temps d’avoir une réflexion sérieuse sur les vaccins et les médicaments en tant que bien commun public. Comme en 2001 avec le procès de Prétoria, il est temps de lever les brevets sur les vaccins et d’organiser le transfert de technologies afin de faire prévaloir le droit à la santé des populations sur les intérêts économiques des industries pharmaceutiques.

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